"Lointains et Alentours" - JP Geay (textes) & Roger Bensasson (illustrations) - Éditions Chemins de Plume/L'encrographie d'art - Prix 25 € + participation frais de port 5 € = 30 €
Par Marie-Claire Bussat-Enevoldsen - Journaliste - Avril 2021
LOINTAINS ET ALENTOURS de Jean-Pierre Geay (textes) et Roger Bensasson (illustrations)
L’enchantement des signes "à l’orée de tout ce qui commence"
"Mais comment retenir / ce qui n’est qu’en passage // comment fixer cette mouvance // se tenir à l’orée / de tout ce qui commence". (Envergures). Oui, comment ? En déployant les ailes de l’amitié… Car c’est l’histoire d’une heureuse rencontre entre deux compagnons de route, le peintre Roger Bensasson et le poète Jean-Pierre Geay. À l’initiative du premier et à son intention, le poète écrivit une suite de poèmes manuscrits de juin 2015 à juillet 2018, que le second illustra de dessins originaux. Un exemplaire fut déposé en 2019 dans la donation Jean-Pierre Geay à la médiathèque Toussaint de la ville d’Angers. Les voici désormais rassemblés par les Editions Chemins de Plume, sous un titre à double portée : Lointains et Alentours, aussi sobre que mystérieux.
À nous d’aller à leur rencontre, grâce cet ouvrage de belle facture, très soigné dans sa présentation, composé de douze chapitres, chacun précédé de son illustration. Leur liste chronologique et thématique attire d’emblée notre curiosité. Chaque vocable génère sa propre entité, avec pour point de départ la voyelle « e » : Enjeux - Etraves - Eclisses - Emergement - Ellipses - Epissures - Errance - Escales - Envergures - Eléments - Echancrures – Effervescences. Ainsi se déploie cette caractéristique stylistique, furtif clin d’œil à l’alphabet des couleurs d’Arthur Rimbaud : "A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles". Ce passage par antithèse du A au E, du noir au blanc, aurait-il influencé le poète dans son choix d’inverser les distances, du lointain au proche lors de la naissance du titre, "à l’orée de tout ce qui commence" ? Tels sont les "Enjeux" posés dès la première strophe du recueil "La poésie souvent se tient dans ce qui n’est encore qu’à demi dévoilé. À nous d’en conserver la trace énigmatique, d’en décrypter le sens". Alors, essayons…
Cette entrée en matière introduit une dynamique descriptive rythmée, scandée, dans une mise en perspective spatio-temporelle, que le dessinateur a saisie sur des fonds colorés, estampés, entrelaçant traits, formes, et silhouettes. Roger Bensasson entraîne notre regard dans l’intensité de son champ visuel - (ou de son chant visuel : son œil est à l’écoute du "langage premier" de Jean-Pierre Geay) - fenêtres ouvertes sur des paysages subtilement animés. Une parfaite adéquation se noue entre illustrations et textes, une véritable osmose, les dessins laissant émerger les lointains dans les alentours. Ce que nos deux créateurs proposent a un goût et un parfum de voyage, une invitation ou initiation au voyage, terrestre, maritime, cosmique, expériences vécues, rêvées, imaginées, qu’importe ! L’esprit de cet ouvrage est imprégné de leur univers prismatique.
En préambule, l’éditeur évoque leurs riches parcours brièvement retracés ici. Poète, auteur, historien de l’art, Jean-Pierre Geay (agrégé de lettres modernes) a également été commissaire d’expositions de peintres du XXe siècle. Ses poèmes sont empreints des paysages de la Provence et de l’Ardèche où il réside depuis 1969. Cinq grandes expositions lui ont été consacrées (Privas, Annecy, Paris, Angers, Alès), ainsi qu’un impressionnant catalogue édité par la bibliothèque Toussaint de la ville d’Angers en 2016, sous le titre expressif de "poète de la lumière et de l’éphémère". Peintre autodidacte, Roger Bensasson, est entré très tôt dans l’Académie Goetz, où il enseigna ensuite pendant quelques années. Il a réalisé depuis une œuvre géométrique importante, novatrice dans sa conception de plus en plus minimaliste. Ses créations régulièrement exposées, figurent dans des collections publiques en France et à l’étranger.
Ce qui les unit dans cette centaine de pages outre leur talentueuse fraternité, est leur amour de l’espace créateur, leur liberté de l’exprimer en d’infinies variations et vibrations émotionnelles, sensuelles, spirituelles. Leur manière d’observer, d’explorer, de contempler, et d’écouter la nature en sa profusion de paysages, de les ressentir, de les sublimer, nous interpelle, et peut-être nous rassure à l’heure où notre planète souffre de mille maux, de mille destructions.
Une leçon de vie nous est suggérée, une espérance en réponse aux souffrances des corps et des âmes "avec les soirs / où dans le noir /vacillait l’espérance / et les matins lumineux / où tout était à venir / un éblouissement / un étourdissement / devant tout ce que la nature / immensément offrait » (...)". La correspondance entre leurs regards de voyageurs immobiles, les place au centre d’une révolution de cercles concentriques qui vont s’épanouissant dans la plénitude d’un silence consenti… "dans l’invisible une présence / tout ce qui s’apprêtait / à éclore ou à naître / ou qui se transformait/ avant de disparaître / une éclaircie une échappée / cette brèche où la vie / a été enfouie / afin que toutes choses / nées du silence / retournent au silence / aux points où tout commence / et où tout s’abolit" (…) cette forme unitaire / que donne l’écriture / à nos moments privilégiés / à nos fragments dispersés". (Éléments).
Cette odyssée géographique poétique et picturale se nourrit d’une géologie de signes, de sons, de couleurs, de sentiments, et d’une grâce irradiante, lorsque l’apparence devient transparence… "le brusque effacement / de la distance et des frontières / ou cette effervescence / des marges des lisières // l’éclair et sa fugacité / le ciel et son immensité / limpide obscure / ou étoilée // l’instant qui fit de nous / des êtres traversés" (Escales).
Marie-Claire Bussat-Enevoldsen