Ce livre passionnant et émouvant, qui vient de paraître aux Editions Chemins de Plume, est la traversée, sur deux ans, d'un multiple arrachement à la vie, d'une femme aimante face à la perte de son bonheur par la disparition de l'homme aimé en proie à la maladie d'Alzheimer.
C'est un voyage dans l’inexorable et lent effacement d'un homme qui, depuis des années, a progressivement basculé dans les néants de la mémoire. C'est le deuil d'un vivant magnifique dont la mort n'a emporté que la cohérence, ne livrant plus qu'une enveloppe physique évidée de conscience.
Dans ce livre, "Les oiseaux ont de larges ailes", Ile Eniger évoque la gestion des difficultés matérielles, psychologiques, spirituelles, et la douleur absolue de l'absence, le déchirement de l'impuissance devant une maladie dévastatrice qui atteint l'être aimé. Mais, au delà de la souffrance, elle ouvre aussi, dans l'écriture de l'implacable réalité, la possibilité du champ bénéfique de la résilience. Chaque jour va au lendemain chercher le courage, la lumière, et les raisons d'aller plus loin malgré l'intolérable.
Sous forme de journal, l'auteur présente une traversée de l'enfer ancrée et soutenue par ce qui fut une éthique commune de vie. L'homme aimé, elle le porte en elle, ce qui lui arrive leur arrive, mais c'est elle qui transcende la situation, qui l'élève au delà de l'inacceptable. Elle ne propose pas de modèle mais démontre qu'un amour inébranlable est une manière d'affronter la douleur et la difficulté pour les dépasser malgré l'étau de l'impossible. L'être aimé se désagrège, ne sait plus son nom, mais l'auteur lui garde sa lumière et sa dignité d'homme.
Ce livre donne à voir et à comprendre une situation qui cabre nos consciences face à la solitude et la douleur incontournables, mais il donne à voir, dans le même temps, la force absolue de l'amour.
Lisant ce livre, par delà l'émotion, j'ai été interpellé par la terrible réalité dans laquelle celui des deux qui garde son intellect et son action, se retrouve livré au négoce de misère humaine dans un univers qui pourtant devrait être protégé par les services de Santé Publique. J'ai redonné sa juste mesure à l’abandon, d'abord causé par la maladie, ensuite par l'Institution dont les sommes exorbitantes des séjours en Ehpad, hors prestations médicales, épuisent les ressources familiales !
Porté par l'écriture poétique incisive et sans concession de Ile Eniger, ce livre courageux révèle, sans pathos, la lutte aimante d'une femme pour son compagnon en proie à une maladie inéluctable. Il soulève également le problème d'une société aveugle qui tourne le dos à son devoir de fraternité.
Fabien Laurent